Introduction
L’anarchie n’est pas selon moi un modèle pour une société évoluée. Régenter non plus n’est pas un modèle adéquat, surtout dans le monde dit “civilisé” de nos jours. D’ailleurs je doute qu’il existe des personnes qui volontairement demanderons à ce que la moindre chose dans leur vie fasse l’objet d’une ordonnance comme le décrit George Orwell dans “1984”. Pourtant de façon insidieuse, la vie dans la société de nos jours est définitivement régie par des ordonnances officielles et tacites, qui alourdissent la vie quotidienne et entravent l’épanouissement de la liberté et la responsabilité individuelle. Vous n’avez qu’à vous renseigner sur la quantité d’articles que comportent les lois dans votre pays pour en être convaincu. Je parlerai dans ce post surtout des ordonnances tacites, et feu le Dr Wayne W. Dyer en fait une description impressionnante. La voici
1- L’aberration des « il faut » et des « on doit »
Une brillante psychiatre. Karen Horney a consacré tout un chapitre à ce qu’elle appelle « la tyrannie des impératifs » dans son ouvrage, “Neurosis and Human Growth”. Les impératifs produisent toujours une tension qui ne fait que s’aggraver quand la personne essaye de les intégrer à son comportement… De plus, en raison de l’extériorisation, les impératifs contribuent toujours à jeter le trouble dans les relations humaines d’une manière ou d’une autre. Les impératifs régissent-ils votre vie ? Pensez-vous que vous devez être prévenant avec vos collègues, être aux petits soins pour votre femme, aider vos enfants et toujours vous tuer à la tâche ? Et si vous manquez à telle ou telle de ces obligations, vous en voulez-vous ? Et éprouvez-vous cette tension, connaissez-vous alors ce trouble auquel Karen Horney fait allusion ? Mais ce ne sont peut-être pas là des impératifs qui vous appartiennent. Il se peut fort bien qu’ils appartiennent à d’autres et que vous les ayez simplement empruntés. Il y a autant de « il ne faut pas », « on ne doit pas » que de « il faut », et de « on doit » : il ne faut pas être malpoli, il ne faut pas se mettre en colère, il ne faut pas agir sottement, il ne faut pas faire l’enfant, il ne faut pas être impudique, il ne faut pas faire la tête, il ne faut pas être agressif, etc. Mais l’on n’a pas à s’obnubiler là-dessus. Jamais. Vous perdez votre sang-froid ? Vous ne comprenez pas quelque chose ? Et puis après ? Vous êtes en droit de manquer de dignité si cela vous chante. Personne ne compte les points, personne ne vous punira parce que vous n’êtes pas celui que quelqu’un d’autre a dit que vous deviez être. D’ailleurs, il est impossible d’être tout le temps ce que l’on ne veut pas être. Par conséquent, comme vous êtes dans l’incapacité de vous montrer à la hauteur du personnage fictif que vous voulez jouer, tout impératif est producteur de tension interne. Cette tension ne vient pas de ce que vous avez eu un comportement manquant de dignité, inconsidéré ou que sais-je encore ? Mais de l’impératif imposé auquel vous vous êtes soumis.
2- L’impératif des convenances
Les convenances sont un exemple admirable d’enculturation inutile et malsaine. Songez à toutes les petites règles vides de sens auxquelles on vous a invité à vous plier tout simplement parce que Emily Post, Amy Vanderbilt ou Abigail van Buren les ont édictées. (Auteur de manuels de savoir-vivre célèbres aux Etats-Unis.) Ne mets pas tes coudes sur la table, ne commence pas à manger avant la maîtresse de maison, présente l’homme à la femme, donne un pourboire pour ceci, habille-toi comme cela, n’emploie pas cette expression. Ne te prends surtout pas pour juge : réfère-toi à ton petit livre. Certes, il est bien d’avoir de bonnes manières — tout simplement par considération pour les autres — mais 90 % des commandements du protocole sont des règles ridicules et arbitraires qui remontent à des décennies et des décennies. La seule obligation à laquelle vous avez à vous soumettre consiste à faire ce que vous jugez bon pour vous — à condition de ne pas gêner les autres. À vous de décider la façon dont vous faites les présentations, quels pourboires vous voulez donner, comment vous vous habillez, comment vous vous exprimez, où vous vous asseyez, de quelle manière vous mangez, etc. : le seul critère est votre propre désir. Chaque fois que vous tombez dans le piège du « comment dois-je m’habiller ? » du « comment dois-je faire ci ou ça ? », vous renoncez à une partie de vous-même. Je ne prétends pas qu’il faille être systématiquement contestataire dans ce domaine car une telle rébellion serait une façon de solliciter l’approbation par le biais du non-conformisme. Non, ce qui importe dans la vie quotidienne, c’est être soi-même et ne pas se laisser mener par les autres.
3- L’obéissance aveugle aux règles et aux lois
Dans un certain nombre de cas, des comportements ignobles et sans précédents ont eu pour excuse l’obéissance aux ordres. Les nazis ont massacré six millions de juifs, ils ont assassiné et torturé des millions d’autres personnes parce que c’était la « Loi ». Après la guerre, on s’est empressé d’imputer la responsabilité de ces actes de barbarie à la hiérarchie nazie au pouvoir. Personne, en Allemagne, ne pouvait être tenu pour responsable des crimes infâmes perpétrés par Hitler et ses tortionnaires car les subordonnés ne faisaient que suivre les édits et les lois du IIIe Reich. Dans le comté de Suffolk, État de New York, un porte-parole des autorités locales a récemment expliqué la raison pour laquelle certains contribuables qui avaient été exagérément imposés ne sauraient être remboursés : « Aux termes de la loi, les impôts fonciers, une fois payés, ne peuvent pas être réévalués. C’est la loi, je n’y peux rien. Mon travail consiste à l’appliquer, pas à l’interpréter. » Eh bien, en un autre temps et en un autre lieu, ce monsieur aurait fait un excellent bourreau. Mais c’est un refrain connu. On l’entend tous les jours. Ne pensez pas, contentez-vous d’obéir aux règlements, même s’ils sont absurdes. Qu’il s’agisse des piscines, des courts de tennis ou d’autres lieux publics, la moitié des règlements n’ont aucun sens. Il y a quelque temps, un soir où il faisait très chaud, j’ai demandé à des jeunes gens assis au bord d’une piscine et qui, visiblement, mouraient d’envie de piquer une tête, pourquoi ils attendaient alors que le bassin était vide. Ils me répondirent que seuls les adultes avaient le droit de se baigner entre 18 h et 20 h. C’était la règle et bien qu’aucun adulte n’en excipât, on l’appliquait. Aucune souplesse, impossible de modifier le règlement alors que les circonstances militaient en faveur d’une entorse à la consigne — non : ces jeunes gens obéissaient aveuglément à une réglementation qui, en l’occurrence, n’avait aucune raison d’être. Comme je les encourageais à tourner le règlement, je reçus un coup de téléphone de la direction qui m’accusa de fomenter la révolte. C’est la vie militaire qui me fournira le meilleur exemple de respect de la règle, si stupide qu’elle soit. Un de mes confrères, affecté à Guam, dans le Pacifique Sud, m’a dit avoir été frappé par la docilité avec laquelle nombre d’hommes de troupe appliquaient des règles dont l’inanité sautait aux yeux. Il y avait dans cette garnison un cinéma en plein air. Seuls les officiers avaient le droit de prendre place sur les bancs rouges abrités des intempéries. Lors de la séance de minuit à laquelle les gradés n’assistaient jamais, un marin était de faction pour veiller à ce que personne ne s’asseye sur ces bancs rouges. Ainsi, tous les soirs, on pouvait voir un groupe de matelots courbant le dos sous la pluie alors qu’une sentinelle montait la garde devant les bancs vides. Il fallait appliquer le règlement. Mon ami qui demandait pourquoi on s’en tenait à cette politique délirante reçut la réponse classique : « Ce n’est pas moi qui fait les règles. Je suis là pour les faire respecter. » Ceux qui sont trop paresseux et trop conformistes pour penser par eux-mêmes et être leur propre juge obéissent aux lois, dit Hermann Hesse. D’autres personnes ont leurs lois intérieures. Elles estiment qu’il leur est interdit de faire des choses que tous les gens honorables font chaque jour et qu’il leur est loisible de faire d’autres choses généralement tenues pour scandaleuses. Chacun doit voir midi à sa porte. (Hermann Hesse. Demian (New York, Bantam Books. 1974), p.53.) Si vous vous soumettez perpétuellement à toutes les règles, vous vous condamnez à une vie de servitude émotionnelle. Mais notre culture nous enseigne qu’il est très mal de désobéir, que l’on ne doit pas enfreindre les règles. Ce qui est important, c’est de déterminer celles qui sont valables, nécessaires pour sauvegarder l’ordre qui constitue notre culture et que l’on ne peut violer sans porter préjudice aux autres ou à soi-même. Se révolter pour le plaisir de se révolter est dépourvu d’intérêt, mais être celui que l’on est, vivre selon des normes que l’on choisit est source d’enrichissement.
4- Résister de l’enculturation et aux traditions qui vous sont préjudiciables
Le progrès — le progrès individuel et le progrès universel —repose sur les hommes de déraison et non sur ceux qui s’adaptent à la société dans laquelle ils vivent et acceptent tout. Le progrès repose sur les novateurs qui disent non aux conventions et sont les architectes de leur univers personnel. Si l’on opte pour l’action plutôt que pour la passivité, il faut apprendre à résister à l’enculturation et aux multiples pressions du conformisme. Si l’on veut accéder à la plénitude, résister à l’enculturation est presque un postulat. D’aucuns vous considéreront comme un réfractaire : c’est le prix qu’il faut payer si l’on veut penser par soi-même. On dira peut-être que vous êtes différent, on vous qualifiera d’égoïste ou de rebelle, beaucoup de gens « normaux » vous désapprouveront et vous pourrez parfois être frappé d’ostracisme. Vos contemporains verront d’un mauvais œil votre refus des normes qu’ils ont adoptées pour eux-mêmes. On vous ressassera la vieille antienne : « Si chacun n’obéissait qu’aux règles de son choix, où irait la société ? » La réponse est bien simple : personne ne le ferait ! La nécessité de s’appuyer sur des béquilles et de se soumettre aux impératifs interdit à la majorité des gens d’adopter pareille attitude. Il ne s’agit nullement ici de prôner l’anarchie. Personne ne veut détruire la société, mais beaucoup d’entre nous aimeraient que l’individu vivant en société dispose de plus de liberté, qu’il soit affranchi des « il faut » absurdes, des « on doit » stupides. Les lois et les règles intelligentes ne sont pas applicables en toutes circonstances. Ce que nous réclamons, c’est le droit de choisir, c’est-à-dire de refuser cette mentalité servile qui nous pousse à nous plier éternellement aux impératifs. Rien ne vous oblige à être toujours celui ou celle que votre culture attend que vous soyez. Sinon, vous êtes grégaire, vous êtes un mouton qui suit le troupeau. Pour s’assumer dans la vie, il faut faire preuve de souplesse intellectuelle, il faut se demander souvent si telle règle est valable compte tenu des circonstances du moment. Certes, il est fréquemment plus facile d’être un suiviste, d’agir aveuglément comme on vous le dit ; mais une fois que l’on s’est rendu compte que les lois sont faites pour vous servir et non l’inverse, on peut commencer à changer de comportement. Si l’on veut résister à l’enculturation, il faut savoir tirer son épingle du jeu. D’aucuns préfèrent continuer d’obéir, même si c’est à contrecœur. Laissez-les maîtres de leurs choix. Il ne s’agit pas de se mettre en colère mais simplement d’être fidèle à ses convictions. Un de mes amis, appartenant à la marine, faisait partie de l’équipage d’un porte-avions ancré à San Francisco à l’époque où le président Eisenhower effectuait une tournée politique en Californie du Nord. Ordre fut donné à l’équipage de se rassembler sur le pont en adoptant une formation dont la configuration formerait les mots HI IKE (Salue, Ike) pour accueillir le président quand il arriverait en hélicoptère. Mon ami trouva cette idée idiote et décida de ne pas participer à cet exercice contre lequel se révoltaient toutes ses convictions. Mais au lieu de fomenter une mutinerie, il préféra s’absenter tout l’après-midi, laissant ses camarades participer sans lui à ce rite dégradant. Par sa faute, il n’y eut pas de point sur le I de HI. Il ne s’agit pas de mortifier ceux qui choisissent une autre voie ni de se lancer dans de vaines diatribes : bornons-nous à hausser les épaules et à laisser chacun faire ce que bon lui semble. Résister à l’enculturation veut également dire prendre ses propres décisions et les appliquer aussi efficacement et aussi tranquillement que possible. Evitons les bruyantes manifestations d’hostilité qui ne servent à rien. Les règlements, les traditions et les principes absurdes ne disparaîtront jamais, mais rien ne vous oblige à leur apporter votre caution. Contentez-vous de hausser les épaules et de laisser les autres hurler avec les loups. Si ça leur plaît, tant mieux pour eux. Mais vous, vous ne faites pas partie du troupeau. S’emporter est le moyen le plus sûr d’attirer l’animosité et de se créer des obstacles supplémentaires. Vous, vous apercevrez tous les jours qu’il est plus facile de tourner discrètement la règle que de lancer des mouvements de protestation. Vous pouvez choisir d’être celui que vous voulez être ou celui que les autres veulent que vous soyez. A vous de décider. Presque toutes les idées novatrices qui ont bouleversé notre société ont été honnies à une certaine époque et beaucoup d’entre elles étaient même illégales. Le progrès implique de rompre avec les vieilles règles devenues caduques. On s’est gaussé des Edison, des Henry Ford, des Einstein (e=mc2), des frères Wright — jusqu’au jour où leurs efforts ont été couronnés de succès. Attendez-vous à être mal vu, vous aussi, quand vous résisterez aux principes absurdes.
Article tiré du livre Vos zones erronées : Changez vos pensées et reprenez le contrôle de votre vie de Wayne W. Dyer.