La troisième technique dont nous disposons pour faire face aux problèmes, et qui doit être continuellement utilisée si nous voulons vivre une vie saine et évolutive, c’est se consacrer à la vérité.
A priori, cela devrait être évident, car la vérité, c’est la réalité. Ce qui est faux est irréel.
Plus on voit clairement la réalité du monde, mieux on est équipé pour lui faire face. Car plus nos esprits sont brouillés par le mensonge, les fausses perceptions et les illusions, moins nous sommes capables de prendre les bonnes décisions et de savoir quelle attitude adopter. Notre vision du monde est comme une carte sur laquelle nous pouvons déterminer les territoires de notre vie. Si la carte est exacte, nous saurons à peu près où nous sommes et, si nous avons décidé où aller, nous saurons comment y aller. Si la carte est erronée, nous nous perdrons. Tout cela est évident. Pourtant, la plupart des gens ont choisi, à des degrés différents, de l’ignorer, parce que le chemin de la réalité n’est pas de tout repos.
Tout d’abord, nous ne naissons pas avec une carte ; il nous faut la dessiner, et ce n’est pas chose facile. Plus nous persistons dans nos efforts pour percevoir la réalité, plus notre carte devient étendue et précise. Mais beaucoup ne sont pas prêts à cela. Certains s’arrêtent à la fin de l’adolescence. Leurs cartes sont incomplètes, presque des esquisses, leur vision du monde est étriquée et trompeuse. D’autres (la plupart) abandonnent l’effort vers la cinquantaine. Ils estiment que leur carte est complète, que leur vision du monde (Weltanschauung) est correcte – voire sacro-sainte –, et ils ne s’intéressent plus à de nouvelles données ; on dirait qu’ils sont fatigués.
Relativement peu ont la chance d’explorer jusqu’à leur dernier souffle le mystère de la réalité, toujours prêt à élargir, affiner et redéfinir leur appréhension du monde et de la vérité. Le plus grand problème dans l’établissement d’une carte n’est pas que nous la dessinons à partir de rien, mais surtout qu’il faut la corriger en permanence. Le monde lui-même change constamment. Les glaciers arrivent et disparaissent. Les civilisations naissent et meurent. Le pire est que le point stratégique à partir duquel nous voyons le monde change aussi, très souvent et rapidement.
Enfants, nous sommes dépendants et impuissants. Adultes nous jouissons d’un certain pouvoir. Mais, dans la maladie ou dans la vieillesse, nous pouvons redevenir dépendants. Le monde est différent selon que nous avons ou non des enfants, selon qu’ils sont des bébés ou des adolescents, selon que nous sommes riches ou pauvres. Chaque jour, nous sommes bombardés d’informations sur la nature de la réalité.
Si nous voulons assimiler cette masse d’informations, il nous faut sans cesse corriger notre carte et, de temps en temps, lorsque nous avons accumulé assez de nouvelles données, faire des révisions importantes. Ces corrections sont douloureuses, parfois atrocement. C’est là que réside la source de bien des maladies. Que se passe-t-il lorsqu’on s’est longuement et courageusement évertué à dessiner une carte adéquate qui paraît utilisable, qu’un peu plus tard elle est confrontée à de nouvelles informations qui l’invalident, et qu’on s’aperçoit qu’il faut la recommencer ? Le douloureux effort en perspective est accablant, effrayant. Ce que nous faisons fréquemment, souvent inconsciemment, c’est ne pas tenir compte de ces nouvelles informations. Fermer ainsi les yeux peut être bien plus que de la passivité : nous pouvons nous dire que ces nouvelles données sont fausses, dangereuses, hérétiques, l’œuvre du démon. Nous pouvons même partir en croisade pour les détruire, ou essayer de manipuler le monde pour le faire concorder avec notre vision de la réalité, plutôt que d’essayer de changer notre carte.
Malheureusement, nous dépensons souvent beaucoup plus d’énergie à défendre une carte périmée qu’il ne nous en aurait fallu pour la réviser.
Auteur : Scott Peck Extrait de son livre « Le chemin le moins fréquenté« .